lundi 10 janvier 2011

Le plagiaire et la coquille



N'est pas un vain mot, l'écueil de la page blanche.
Métier : écrivain, scénariste, dessinateur, compositeur... ; point commun : l'imagination. Tout un travail d'esprit qu'il convient de coucher sur le papier, noir sur blanc, sans autre couleur que les rangs d'un tricot, avec ce que cela suppose de démaillages et de rebâtis.
En soi, l'imagination n'a rien de féérique, de virevoltante, bien au contraire. Elle paraît, s'impose, se visualise à nulle autre pareille ; je dirais que l'on écrit, scénarise, dessine ou compose avec ses neurones pour ensuite y mettre tout son cœur. Du champ purement conceptuel, elle s'enrichit rapidement d'un espace vagabond, d'un style qu'il convient de garder sous contrôle. Rien de plus malins que l'entourloupe des personnages d'un roman, l'académisme d'une phraséologie musicale sans surprise, le conformisme ahané d'une palette affadie. À mon sens, il n'est qu'une œuvre qui s'agrémente ouvertement du catalogue du temps jadis : la haute couture puisant ses ressources ici et là et les mariant à l'envi ; ce qui fait souvent dire que la mode n'est, de fil en aiguille, que l'adaptation démodée rapportée au goût du jour, aux courants, aux écoles et autres mouvements.
Pour le reste, en chaque création, il n'est que sa propre imagination, ses lacunes et l'asservissement de la différence : ne rien faire, ni ne devoir à l'autre ; se démarquer, créer, innover, ouvrir la brèche. C'est du moins l'image tenace que véhicule l'idée de grandeur ou de génie – pour autant, le génie existe.


Métalepse
Pratiquement, c'est entre la page blanche et la peur de ne pouvoir mener à bien sa création, à fortiori de paraître, que l'on en vient à toquer à la porte du plagiat. Mais le réflexe est vieux comme le monde, de copier sur son voisin.
Du nom savant de métalepse, il faut comprendre que ceux qui s'en tirent, ou pensent s'en tirer le mieux dans l'exercice de la copie sont les meilleurs arrangeurs possibles. Là où j'écris : « Un lièvre se prenait à danser avec les loups », le fin copieur dira quelque chose comme : « La meute s'amusa des facéties d'un drôle de garenne ». C'est un peu ce que firent La Fontaine (1621-1695) avec Ésope (VIe siècle av. J. C.) ou Tite-Live (59 av. J. C. - 17 ap. J. C.) ; Balzac s'inspirant des thèmes shakespeariens du Roi Lear (1606) pour son Père Goriot (1835) ; James Joyce (1882-1941) avec Homère (fin VIIe siècle av. J. C.).


Roca vs Waterhouse © Google images (cliquer)

Tout flatteur se voit soudain vivre aux dépens de ceux qui le lisent ; l'éloquence et la nouveauté se jouant admirablement du détour des ans.
Certes, si l'on considère que tout a été créé, on peut dire qu'il y a du plagiaire en chacun de nous ; imaginons l'incommensurable bibliothèque argumentée de son oralité depuis que le monde est monde, tous ces récits, cette patine. En fait, c'est davantage dans la manière de pondre que la pseudo-copie – pseudo par l'orgueil de croire soi-même en l'inédit de son affaire –, que la pseudo-copie se démarquera de l'immense production déjà couchée sur le papier. Accrochant au texte des hasards de fruits mûrs, quel écrivain ne s'est pas lui-même surpris de cette grâce divine qu'il doit à la création la plus basse ?
Giono s'inspire-t-il d'un terroir comme d'une plume à l'encre sympathique, Seurat trouve-t-il la lumière dans le frémissement de son pointillisme, Coco Chanel dans la libération du tailleur, que les assaillants n'y vont pas par quatre chemins quand le plagiat s'impose. Et même s'il n'est pas dans mon intention de dresser la liste des-dits plagiaires célèbres [1] – d'autres ont tellement mieux commenté la question –, force est de rendre justice aux floués monumentaux. Au premier rang desquels, sans doute, Antoine Léonard Thomas (1732-1785), poète clermontois à qui Lamartine (1790-1869) doit les deux vers qui lui ont conféré tant de renommée : « Ô temps, suspend ton vol », et « Un seul être vous manque et tout est dépeuplé ». Rien que cela.
Classé à la 22ème place des 100 meilleurs livres du XXème siècle, le roman d'anticipation de George Orwell, publié en 1949 et intitulé 1984 (dont l'adaptation cinématographique rapporta quelque 8,5 millions de dollars cette même année), doit quasiment tout à son illustre inconnu, le Russe Evgueni Zamiatine auteur de Nous autres (paru en 1920) [2]. La petite histoire retenant également que ce pauvre Zamiatine fut source d'inspiration pour Aldous Huxley et son Meilleur des monde (1932) et pour Ira Levin et Un bonheur insoutenable (1970). Rien que cela aussi.


Les enlumineurs de la Saint-Jacques
Nous sommes bien loin des copistes et autres calligraphes, initiateurs de quelques unes de nos plus belles coquilles ; à toute aune des corrupteurs, cela va de soi.
Ainsi, en l'abbaye d'Asello en Calabre, Martin le sculpteur grava-t-il au linteau du portail non pas « Porta, patens esto. Nulli claudaris honesto » (Porte reste ouverte. Ne sois fermée à aucun honnête homme), mais « Porta, patens esto nulli. Claudaris honesto » qui veut dire : « Porte, ne reste ouverte à personne. Sois fermée à l'honnête homme ». Bien le comble pour un monastère. D'où l'autre coquille qui s'en suivie « Pour un point, Martin perdit son âne ».
On cite également Malherbe dans sa Consolation à M. Du Périer sur la mort de sa fille, auteur d'un « Et Rosette a vécu... » que le typographe rectifia en un trait de génie : « Et, rose, elle a vécu ce que vivent les roses, L'espace d'un matin ».
Tous ces scribes ont-ils contrefait le texte – quand bien même certains ont-ils pris le singe pour un signe, l'emprisonnement pour un empoisonnement – qu'ils n'ont en rien piller le temple. La coquille vouant plutôt au lapsus l'évidence de la plus parfaite amoralité : une fellation n'explique nulle autre inflation que celle d'une députée européenne particulièrement en verve.
Que dire donc des pilleurs ?


Rouges à lèvres © marcautret.free.fr (cliquer)


Raoul de la pillure
À l'heure de la création tous azimuts, et par l'exigence même du public, c'est à croire qu'ils entrent dans la grande coalition des dopés du Tour de France.
Des programmes de télé tous forgés sur le même modèle (Arthur plagiant son Craig Ferguson, des émissions de cuisine ou de déco en-veux-tu-en-voilà...), des rentrées littéraires archi combles (510 bouquins publiés d'ici à mars 2011), comment croire que dans tout ce méli-mélo ne se glissent pas les intrus de service ?
Sans compter la propre production dans laquelle nombre d'auteurs s'enferrent ; train de vie oblige. Avec huit signatures en 2010, PPDA avait-il d'autre issue que la contrefaçon [3] et le “ nègre [4] ” ? Calogero et Black-Eyed-Peas, condamnés par la justice, pouvaient-ils indéfiniment tenir le rythme sans donner dans le copié-collé ? Calquant l'histoire de Poncahontas et la rehaussant d'effets spéciaux à couper le souffler, le génie de James Cameron n'était-il l'Avatar de trop ? Idem pour les dialogues de Séraphine, film de Martin Provost, empruntant tout à l'ouvrage de l'anonyme prof' Alain Vircondelet ; la couturière Zara piquant tout de la collection Balmain Hiver 2010... [5]
Mêmes les hymnes font l'objet d'un piratage, c'est dire ! Celui du Parti socialiste « Il est temps », serait en fait une copie de « L'autobus à impériale », série anglaise diffusée en 1972 par l'ORTF... [6]
Mais au sommet de cet art (de la transcription et du fac-similé), citons l'espionnage industriel. Il n'est pas long de comprendre les colossaux enjeux générés par ce type de manœuvre, elle aussi, vieille comme le monde. Si tout ce serait passé comme prévu, les trois huiles récemment mises à pied par Renault-Nissan auraient normalement dû toucher le pactole en yuans et la future voiture électrique d'importation aurait eu plus qu'un air de famille avec la Française ; et tout le monde n'y aurait vu que du feu. Car, tant en matière d'automobiles que d'électroménager ou de multimédias (les tablettes, les mobiles...), rien n'est plus récidiviste que les échos périodiques des designers.


Le plagiat électronique dans les technologies de l'image et de la communication © Séverine Parent / Cégep Limoilou (cliquer)

Finalement, au jeu de l'espionnite et de la duplication, il n'est plus grande paternité qui ne s'y reconnaisse : les laboratoires pharmaceutiques se plagient pour une molécule, les hackers patentés tapinent pour un plantage de serveur, les démocraties usent de la même mondialisation et l'argent jouit de facultés es bonheur exportables. Vas comprendre, mon pauvre Raoul !

Raoul, faut dire qu'il est peintre, place du Tertre. Cracheur de feu, parvis Beaubourg. Montreur d'ours au Cirque d'hiver. Piano-bar, rue Mitaine. Enseigne vaisseau à l'Alpaga, quartier Latin. Raoul, c'est surtout un grand sentimental. Au zinc de La Mer' Loch, à trois plombes du Louvre, quand les bretelles lui tombent des bras, il purge sa peine. Pas un raide, le Raoul. Plat comme un hareng. Mauvais saur, mauvais siècle, mi-cave, mi-taulier, sa barque c'est son pédalo. Et pour pédaler, le Raoul, ça serait comme qui dirait une éponge, un ramasse-miettes modèle BHV 75, un cassoulet en plein McDo. Une tarlouze qu'aurait défroqué. Défroqué, c'est exactement ça. Un mec sans futal. Un absent, quoi.
Et comme disait Biraud :
« Je crois, docteur, que l'homme de Néandertal est en train de nous le mettre dans l'os. Deux intellectuels assis vont moins loin qu'une brute qui marche. » [7]
Va savoir ?




[1] N'importe quel moteur de recherche, tapez le nom d'un auteur notoire suivi de plagiat ou de sources, vous serez surpris
[2] La Kallocaïne ou l'opium du peuple, de la Suédoide Karyn Boyle (paru en 1940) servi aussi d'inspiration à Orwell (éditions Ombres)
[3] http://www.lexpress.fr/culture/livre/trois-exemples-du-plagiat-de-ppda_949665.html
[4] Bernard Marck éditorialiste d'Aéroports Magazine
[5] Yannick Haenel pressenti pour le Goncourt et le Médicis 2007 pour son livre Cercle (Gallimard) ressemblant furieusement à Forêt profonde (éditions du Rocher) d'Alina Reyes, et finalement prix Interallié 2009 avec son livre Jan Karski empruntant des pans de dialogues droit sortis de Shoah de Claude Lanzmann ; le journaliste du New York Times, Zachery Kouwe, reprenant à son compte des passages entiers d'articles parus dans Wall Street Journal, Reuters... (février 2010) ; Christian Audigier, couturier des stars, plagiant le sac Louis Vuitton ; Helene Hegemann, écrivaine et “prodige” allemande de 18 ans, recopiant des blogs (2010)...
[6] http://www.numerama.com/magazine/16163-l-hymne-du-ps-plagiat-d-un-vieux-generique-de-serie-tv-maj.html
[7] Maurice Biraud (François Jonzac) à Charles Aznavour (docteur Samuel Goldman) dans Un taxi pour Tobrouk, film de Denis de la Patellière, 1960, d'après le roman de René Havard

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